Ainsi tourne le monde….

Un enfant entre dans un parc où un bac à sable, un toboggan, un tourniquet s’offrent à lui. Il réfléchit, scrute ces engins chargés de l’amuser. Tout en hésitant, il se dirige en direction du tourniquet. Vaste roue posée à l’horizontal, aménagée à sa périphérie d’un banc de lattes de bois et d’une série de poignées métalliques.
Mathieu saisit une poignée, pousse et fait tourner la roue de plus en plus vite. Emporté par la vitesse, il saute sur le banc de lattes de bois, et tourne, tourne. Sa tête, trop lourde, est entraînée à l’arrière, happée par la vitesse. Naturellement, il ouvre les yeux. Les immeubles, les arbres, les personnages se diluent en un vaste tourbillon. Mathieu en est le pinceau, celui qui mélange et ordonne.
Il remarque que seul le ciel tiens sa place ; mais ne lui avait on pas affirmé que le monde est cerné par le vent, la pluie, les nuages, ne lui avait on pas dit que le ciel est la coque de la terre ? Ainsi va le monde, Mathieu ne croit plus les vérités, du moins celles que les adultes aimeraient faire gober aux enfants.
Mathieu Rouget devient un artiste protéiforme – peu importe le médium – il produit un art d’enfant avec une conscience d’adulte. Il nous dit : je reste un enfant – Mathieu – devenu un adulte par obligation – Rouget -.
Du tourniquet de la vie qui l’entraîne de Paris en Chine, à Sarajevo puis dans l’Allier, il en conserve l’idée ; tourne, tourne le monde.
Dans l’Allier, au cœur de la France, dans le pays du bocage colbertien, le monde ne tourne pas, il vit sans mouvements apparents. Mathieu tourne sur lui-même et redécouvre la griserie du tourniquet. Bien des années après, il constate que la terre n’est pas ronde…..Il va s’employer à faire pivoter se monde au sein d’un espace d’équilibre, le carré.
Par l’artifice des effets offerts par l’ordinateur, il recompose un lieu. Il est le pinceau qui chasse le monde sur les cotés et place le ciel au centre. Il déconstruit les perspectives, fait dialoguer les ombres ; il offre un plaisir rétinien. Mais au-delà, il conduit le regardeur à se laisser aller au transport du tourniquet. On redevient cet enfant qui distingue un monde en creux, ou ce qui apparaît saillant et inclus dans le ciel. Et si le monde venait de là ?
Que ce soit au sein de ses vidéos, de ses installations ou de ses photographies, Mathieu Rouget se désespère de la réalité. Désespérance face à la guerre, lassitude de l’ordonnancement du monde, il nous invite à renouer avec notre vision enfantine, perlée d’interrogations, face à une réalité qui pour des yeux d’enfant est bien obscur.


Christian GARCELON
Inspecteur et conseiller arts plastiques
Conseiller pour les musées
DRAC Auvergne